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Les labyrinthes de la vie
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23 novembre 2019

La solitude (3)

Il était maintenant près de quatre heures et il était grand temps qu’il rejoigne le “ Museum für Kommunikation ” où, dans un peu plus d’une heure, il était censé parler sur l’art en réseaux. Comme ses errances l’avaient conduit dans le Schöneberg (encore une attraction étrange se dit-il, “ la belle montagne ”…), qu’il lui fallait certainement prendre le métro, il demanda quelle était la station la plus proche. Le barman lui dit que ça dépendait, qu’il y en avait plusieurs  : les stations Berliner Strasse, Rathaus Schöneberg, Bayerischer Platz et Kleistpark étaient toutes à environ un quart d’heure de son établissement. En hommage au poète auteur du Prince de Hombourg (plutôt qu’au maréchal créateur de l’armée blindée dont il ne voulait pas imaginer que la place put porter le nom), il prit la direction de la station Kleistpark. Il l’atteignit rapidement et descendit aussitôt dans le dédale du métro. Consultant le plan du réseau, il s’aperçut qu’il était assez loin de son lieu de destination et que, pour atteindre la station Klosterstrasse, il lui fallait d’abord aller vers Rudow jusqu’à Yorkstrasse, prendre ensuite la direction d’Orianenburg jusqu’à Frierdrichstrasse, emprunter ensuite l’une quelconque des cinq lignes à destination d’Erkner, de König Wüsterhausen, de Wartenberg, d’Ahrensfelde ou de Strausberg Nord jusqu’à l’Alexanderplatz puis changer une fois encore à destination de Ruhleben, la Klosterstrasse n’étant alors plus qu’à une station. Mais comme, après tout, cela ne faisait en tout que huit stations et trois changements, il calcula qu’il en avait au plus pour une demi heure, qu’il disposait donc amplement du temps d’arriver, qu’il était inutile de se dépêcher et qu’il pouvait s’abandonner à son vieux démon : la flânerie. Il monta dans le train se disant que, puisque il en avait le loisir, pour une raison qui lui parut évidente, il prendrait la direction d’Erkner de préférence à n’importe laquelle des quatre autres.

A la gare de la Friedrichstrasse, comme le train qu’il avait décidé de prendre n’était annoncé qu’en quatrième position, il s’occupa, vaguement amusé, à observer la faune de punks crêtés de multicolores comme des oiseaux exotiques absorbés dans leurs mystérieux conciliabules d’échanges de canettes bières et de produits les plus divers. Un groupe surtout attira son attention : une jeune fille, presqu’une enfant, tenant en laisse un chien noir et quatre garçons manifestement plus âgés qu’elle, occupée à l’inhalation de la fumée d’une cigarette dont il se dit — parce que cela correspondait à l’image qu’il se faisait de ces adolescents — qu’elle devait être de haschish ; accroupie sous une immense affiche à fond noir faisant la publicité pour un fournisseur d’accès, elle portait, et ne s’en était vraisemblablement pas aperçue, un tee-shirt du même mauve que ceux des trois personnages de l’affiche sur lesquels on pouvait lire en lettres du même vert fluo que celui de ses cheveux “ Hans@ness.com, Rudy@ness.com et Grethe@ness.com ”. La présence de cette adolescente constituait comme une protestation ironique contre cette société marchande dont elle affectait le rejet tout en renforçant, de façon paradoxale, à cause à la fois de l’esthétisation visuelle et de l’effet d’insolite, la portée publicitaire du panneau. Il se rappela ainsi que cette même publicité figurait déjà parmi les cartes du café de la Wartburgstrasse et que s’il ne l’avait pas retenue c’est qu’il ne l’avait pas alors trouvé assez belle. Il se persuada ensuite que c’était cette même affiche qu’il avait aperçue, depuis la coupole du Reichstag parmi celles dissimulant les travaux de la porte de Brandebourg et, une fois de plus, s’émerveilla de toutes ces séries de coïncidences qui, donnant tant de sel à sa vie, intégraient malgré lui sa solitude à la communauté humaine.

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