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Les labyrinthes de la vie
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30 novembre 2019

L'Argentine (8)

Il s’étonnait de n’éprouver aucun désir physique, pas la moindre excitation. Il aurait pu mettre cette absence sur le compte de sa situation, mais non, il sentait que ce n’était pas cela. Le corps de cette femme un peu boudinée dans sa veste rosée vaguement matelassée ne lui provoque aucune attirance, pas plus que sa chevelure provinciale. S’il est séduit ce n’est pas comme avec tant d’autres femmes parce qu’il éprouve l’appétit mâle de faire l’amour, que son corps frétille à l’idée de mêler son sexe au sien. Rien de tout cela, la relation qu’il sent s’établir entre eux n’était pas de cet ordre. Au contraire peut-être même c’est cette absence de cupidité physique qui l’attire en elle, la force de son sourire, cette facilité qu’elle a montré à se livrer à lui l’emporte vers quelque chose qui le dépasse. Il lui semble retrouver la fraîcheur qu’un adolescent peut mettre dans ses premières timides approches des adolescentes quand ce qui compte c’est seulement l’envie d’être regardé, écouté, d’établir une relation sentimentale. Le sexe n’était pas encore de la partie. La séduction comptait davantage. Il sait cette situation absurde, se dit qu’il s’invente une histoire, que cette femme ne s’intéresse en rien à lui, que rien ne peut se passer entre eux, qu’il a rendez-vous pour une opération dans une quinzaine de jours et qu’il ne pourra pas changer la date de ce rendez-vous, qu’il ne peut voyager avec cette poche à urine qui tire sur son sexe au fur et à mesure qu’elle se remplit. Rien n’y fait. Une autre voix en lui affirme qu’il ne peut, dans sa vie, ignorer une pareille seconde chance, qu’à son âge il ne retrouvera jamais cet abandon d’un être à un être qui se manifestait ici. Sa situation est aussi inextricable qu’extravagante.

Le temps passe. Il ne leur reste plus qu’une quinzaine de minutes avant qu’il ne doive l’accompagner à son train. Il fait signe au garçon, réclame l’addition. Il paye. Elle se laissa faire comme si elle trouvait cela tout naturel et cet abandon des convenances superficielles le confirma dans l’idée que ses sentiments sont réciproques. Pourtant il faut y aller. Il n’ose même pas un timide — peut-être n’êtes-vous pas partir ce soir, on peut certainement changer votre billet, nous pourrions manger ensemble… Car il sait qu’aller au restaurant lui serait difficile, car il sait qu’il ne pouvait l’inviter chez lui sans lui dévoiler sa situation, car il sait que proposer de lui payer un hôtel, ravalant la situation à une situation classique de couple illégitime, dégraderait leur situation d’autant qu’il ne pourrait lui expliquer pourquoi il n’allait pas à l’hôtel avec elle. Il se sent enfermé dans un corps. Pour la première fois il comprend que ce corps qu’il avait cru pouvoir toujours subordonner à sa pensée a une vie propre et ne lui permet pas de suivre ses aspirations. Elle se lève. Il se lève, un flash de douleur mord son gland d’une brûlure, il grimace mais s’efforce à ne pas se plier en deux même s’il est obligé de s’arrêter un instant pour attendre que cela se calme. Elle paraît étonnée de cet arrêt, ne dit rien. Il s’empare de la plus grosse de ses deux valises. Elle prend l’autre. Ils descendent lentement les escaliers. Il la guide vers le quai où son train est annoncé et chacun de ses pas est une souffrance physique, mais surtout morale.

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