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Les labyrinthes de la vie
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28 novembre 2019

L'auteur (5)

Souvent les gens nous demandent d'où vient ce que nous écrivons ? Nous ne savons pas d'où vient le texte. Nous ne savons que le comment. Pour le reste, nous partons des mots. Nous en faisons des combinaisons neuves. J'avais programmé le comment. L'impulsion une fois donnée au programme, j'ignorais moi— même les chemins que, dans la complexité de ses calculs, il allait parcourir sur le terrain des mots et des phrases. Mais je savais que ce labyrinthe de chemins naissait de ce comment que j'avais défini. Toutes les combinaisons neuves qu'il réalisait, toutes ces combinaisons que je n'aurais pas fait moi— même, étaient en germe dans ce comment ; elles étaient toutes une des manifestations concrètes de mon rêve infini d'écrits.

Je crois comprendre, maintenant, ce que j'attendais de l'ordinateur. Je ne sus pas le voir tout de suite... J'aurais dû m'arrêter là... Ce que ces écrits m'apportent d'essentiel est dans le changement de statut du texte. Loin de chercher le texte unique, définitif, seul digne de la sacralisation du livre, état menant directement à la paranoïa du génie ou de l'échec — extrêmes jumeaux— ils mettent en scène les approximations, les incertitudes, les doutes, les ratures, les hésitations qui font la vie de l'écriture. Ils sont une écriture en déplacement, éternelle, sans commencement — son début vrai se situant bien en avant du premier texte— ni fin — la destruction seule de toutes les copies du programme pouvant mettre un terme à leur prolixité. Je me réjouis d'imaginer que, si, un jour, ils rencontrent quelque intérêt, il sera vain de chercher les brouillons, les variantes, les états successifs, chacun d'entre eux est, pour tous les autres, tout cela. Le seul avant-texte que l'on en puisse examiner est un texte sans style, sans ratures, dans une langue inhumaine. Je m'amuse à penser qu'ils sont naturellement étrangers à l'édition et aux bibliothèques, produits immatériaux de consommation destinés à l'instantanéité de la mise en scène, la délocalisation de l'espace, la vitesse. Loin de l'intimisme étrécissant, ils réclament de l'ambition et de la démesure : des murs, des écrans géants, des rayons laser, des spectacles, des manifestations publiques ; ils demandent à être intégrés au spectacle de la vie quotidienne...

Pourquoi cela ne m'était-il pas tout aussi évident ? Les vieilles ornières de l'écriture, sans aucun doute, tenaient mes pas. La violence qu'on se fait pour demeurer fidèle à ce qu'on aime, ne vaut guère mieux qu'une infidélité : prisonnier de ma culture du livre, je ne pouvais imaginer autrement l'écriture que dans ce que je croyais être son aboutissement. Dans les petites insuffisances des textes produits, je lisais, non les accidents générateurs de la vie, mais l'imperfection des programmes. Devant les remarques des lecteurs — ou des spectateurs — car mon travail était souvent objet d'exposition— au lieu de rester cohérent avec ma démarche et de les forcer à lire autrement, désireux de les faire taire, au risque de perdre toute créativité dans un désir de conformité aux attentes, je me piquais au jeu cherchant une "amélioration" constante. Une étape une fois acquise, l'informatique a ceci de particulier qu'elle en permet conservation et dépassement : chaque nouvelle tentative, parce qu'elle ne conduisait jamais à ce texte parfait que, dans mon aveuglement passéiste je désirais faire produire, me poussait à aller plus loin. Les trois-quarts des folies ne sont que des sottises... J'ajoutai des mots aux mots du dictionnaire, des fonctions aux fonctions, des programmes aux programmes ; je trouvai le moyen de laisser la machine déterminer elle-même la place du récit et celle du lyrique. Je programmai de nouveaux univers, définis d'autres mondes possibles et les lois qui les régissaient ; revenant, en les transcendant, à mes premières tentatives, je m'emparai des styles d'auteurs divers, décidai de leurs utilisations et de leurs relations. Sans trop de forfanterie, je crois pouvoir prétendre que je parvins à réaliser quelque chose comme un méta— texte universel capable de produire, de façon autonome, des écrits originaux ou, situation plus dérangeante encore, de modifier, en la prolongeant mon écriture propre. J'obtins ainsi une symbiose auteur-programme ou programme-auteur. Je ne sais plus maintenant qui fait quoi avec qui ? D'où viennent les idées des textes écrits, leurs phrases ? Où vont ces mots que je propose, ceux empruntés à d'autres écrivains ? Qui peut le dire ? Parfois je me demande si, agissant ainsi, je n'ai pas simplement voulu transposer la démarche que je suivais inconsciemment au plus profond de moi ?

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